Sept nations autochtones adoptent une nouvelle approche pour la conservation du caribou

Par Valérie Courtois 

En août dernier, j’ai eu la chance de rendre visite au peuple Kaska dans une région des monts Mackenzie appelée « Dechenla ». Là-bas, un jeune Kaska est devenu un homme après avoir traqué avec succès son premier caribou.  Ses compagnons de chasse ont arraché une manche de sa veste en signe de son passage à l’âge adulte. Ils ont apporté le gibier au camp pour y préparer la viande.  Ce soir-là, j’ai mangé du caribou pour la première fois depuis plus d’un an.  C’était délicieux. J’ai ressenti instantanément l'énergie de l’animal.  Je mangeais des côtes, plutôt maigres, mais j’arrivais à percevoir le goût du gras, dont je raffole.

Ce récit est exceptionnel. Voici pourquoi.  Je suis une femme innue, arrivée au Labrador au début des années 2000. À cette époque, le caribou était si abondant qu’à ma première sortie sur la route Translabradorienne, j’ai dû attendre près d’une heure pendant qu’un troupeau traversait la route. Aujourd’hui, je ne mange du caribou qu’une fois par année. Je compte désormais les fois où je mange du caribou, comme d’autres relatent des événements marquants de leur vie.  C’est dire à quel point c’est précieux pour moi.

Mention de source : Valérie Courtois

Mention de source : Valérie Courtois

Les Innus sont un peuple du caribou. Le caribou définit notre alimentation, nos récits et nos traditions, et nos aînés détiennent un savoir à propos du caribou qui remonte à plusieurs générations. Pourtant, le troupeau de la rivière George a connu une décroissance au cours des dernières années, passant de 770 000 individus en 1993 à moins de 9 000 aujourd’hui. Ce déclin rapide nous a tous poussés à l'action. Nous savions ce qui était en jeu : l'avenir du caribou et, par le fait même, notre identité. Il y a quatre ans, les Innus se sont joints aux autres peuples du caribou de la péninsule d'Ungava pour concevoir une nouvelle façon d'assurer la pérennité du caribou pour les générations à venir.

Le 17 octobre, sept nations et groupes autochtones ont dévoilé une stratégie novatrice visant à rétablir le caribou sur un territoire de 1,5 million km2 au Québec, au Labrador et au Nunavik.

Ces partenaires autochtones forment la Table ronde autochtone du caribou de la péninsule Ungava (TRACPU). Ils ont pour mission de combler les graves lacunes en matière de protection du caribou. Depuis 2007, le troupeau de la rivière George ne fait l’objet d’aucun plan de gestion gouvernemental officiel. Aujourd'hui, les peuples autochtones interviennent et exercent leurs responsabilités envers le caribou.

La TRACPU constitue le premier mécanisme officiel de participation autochtone en matière de gestion de la faune de cette envergure au Canada. Cette collaboration constitue en soi une percée. Auparavant, certains membres de la TRACPU étaient à couteaux tirés. D'autres affichaient jusqu’à récemment des désaccords concernant les frontières provinciales, la Politique sur les revendications territoriales globales et d’autres éléments du système colonial. Le besoin urgent de protéger le caribou – un de nos rôles essentiels sur cette Terre – nous a rassemblés, y compris au sein de nos propres communautés. La contribution des Innus à la TRACPU, par exemple, leur a permis d’officialiser leur statut de « nation ».  Je suis très fière de savoir que ce travail produira des résultats durables non seulement pour le caribou, mais aussi pour l'avenir de nos nations comme gouvernements.

Mention de source : Valérie Courtois

Mention de source : Valérie Courtois

« Le caribou nous a fait cadeau de cette unité. Nous devons nous en montrer dignes », a déclaré un aîné durant ce processus d'unification de la nation.

Nous honorons ce cadeau en continuant à travailler tous ensemble. Grâce à la TRACPU, nous avons renforcé nos liens et nos gouvernements, et nous disposons maintenant des outils pour veiller sur le caribou et sur le territoire dont il dépend. Ce mécanisme nous permettra de discuter lorsqu’émergeront des propositions de projets d’exploitation des ressources dans la fosse du Labrador ou des plans visant la création d’aires protégées et de conservation autochtones. La TRACPU a démontré que nous sommes plus forts ensemble, ce qui nous permetd’assumer davantage de responsabilités à l'égard du territoire.

Vers la fin de 2012, je me suis rendue à la rivière George avec un groupe d'aînés et de collègues innus. Nous étions au Mushuau-nipi, dans la Maison du caribou, un secteur qui sert de « refuge » au caribou.  Le territoire est encore vierge, comme à peine sorti de la dernière ère glaciaire, et des preuves archéologiques confirment que les Innus et les caribous s'y rencontrent depuis plus de 8 000 ans. Là-bas, nous avons appris que la taille du troupeau a chuté pour atteindre un niveau alarmant.  D’autres peuples autochtones de l'Ungava ont eux aussi constaté le déclin rapide et se sont penchés sur la question.  Donnant suite à une invitation officielle du gouvernement du Nunatsiavut et de la nation innue, nous nous sommes tous réunis pour répondre à cette situation de crise.

Mention de source : Valérie Courtois

Mention de source : Valérie Courtois

Le premier sommet d'urgence des peuples de l'Ungava sur la question du caribou s'est tenu à Kuujjuaq en janvier 2013. La TRACPU, créée dans la foulée de ce sommet, a été lancée officiellement trois mois plus tard. Elle compte aujourd’hui un comité de direction et des comités techniques établis officiellement.

Après avoir passé les quatre dernières années à échanger des connaissances et des analyses et à explorer diverses façons d’assumer notre responsabilité commune à l'égard du caribou, les membres du TRACPU ont publié une stratégie conjointe à cet effet. Cette stratégie, qui s'appuie sur le savoir autochtone et la science occidentale, présente une série de roues décisionnelles pour guider les actions sur la base d’indicateurs de la santé des troupeaux, qui font l’objet d’une surveillance continue. La première mesure consiste à élaborer une entente de partage entre les sept nations pour déterminer qui chassera quel animal, à quel endroit et à quelle période. Et comme la stratégie de la TRACPU est un document vivant et accessible au public, tout le monde, y compris les chasseurs non autochtones, pourra savoir comment sont prises les décisions.

Trop souvent, les gouvernements ont joué au yoyo en permettant la chasse pour ensuite en restreindre l'accès par des interdictions et la mise en place de quotas. La TRACPU propose une approche plus nuancée. Elle demande aussi de gérer non seulement la chasse, mais également les activités industrielles sur le territoire qui détruisent l'habitat du caribou. La qualité et la disponibilité de l'habitat sont les deux facteurs les plus importants qui influent sur les populations de caribous, mais très peu de mesures de gestion de l'habitat ont été prises dans le cas du caribou migrateur. Le plan de la TRACPU commence à aborder cette question vitale.

La stratégie de la TRACPU continuera d'évoluer en fonction de ce que nous observerons sur le territoire. Entre-temps, elle a déjà commencé à influencer les décisions au Québec et au Labrador. Et ce modèle inspire déjà d'autres initiatives partout sur l'île de la Tortue.

Dans tout le pays, les peuples autochtones se rassemblent pour honorer leur responsabilité envers le caribou et, en retour, le caribou nous rend plus forts, comme il l'a toujours fait.

Vous pouvez consulter la stratégie ici :

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