La conservation dirigée par les Autochtones en action
Par Valérie Courtois
Partout au pays, les gouvernements autochtones veillent sur les territoires. Plusieurs d’entre eux utilisent l’aménagement du territoire autochtone comme outil de planification pour déterminer les terres à protéger et celles où l’exploitation des ressources est permise.
À ce jour, les plans d’aménagement du territoire autochtones ont déjà permis, souvent en partenariat avec les gouvernements, de créer des parcs nationaux, des parcs tribaux et des réserves d'espèces sauvages. Lorsque les gouvernements autochtones jouent le rôle principal pour désigner les terres à protéger, établir les objectifs et gérer le territoire, on peut dire que ces terres constituent une aire protégée autochtone.
Plusieurs de ces aires sont gérées par des gardiens autochtones, qui surveillent la faune, analysent la qualité de l’eau et servent de guides aux visiteurs des sites culturels.
« Nous veillons sur notre territoire traditionnel non seulement pour nous, mais également pour le monde entier », précise Gloria Enzoe, directrice du programme des gardiens autochtones qui assurera la gestion de la réserve candidate de parc national de Thaidene Nëné. « Notre écosystème est si pur et nous avons tellement d’arbres que nous dépolluons beaucoup. Nous veillons sur La Terre, notre mère, afin que le reste du monde puisse continuer d’y vivre. »
Les aires protégées autochtones prennent différentes formes. Nous présentons ci-dessous quelques-unes des approches novatrices mises de l’avant par les gouvernements autochtones.
Réserve de parc national de Thaidene Nëné, dans les Territoires du Nord-Ouest
À environ 185 km au nord de Yellowknife, le long de la rive est du Grand lac des Esclaves, la Première Nation des Dénés de Lutsel K'e et le Canada travaillent conjointement à la création de la réserve de parc national de Thaidene Nëné. Ce parc englobera 14 000 km2 de forêt boréale et un parc territorial à proximité, cocréé lui aussi, permettra de protéger 12 000 km2 de nature à l'état vierge.
Grâce aux efforts de la Première Nation des Dénés de Lutsel K’e, le territoire protégé sera quatre fois plus vaste que la zone initialement proposée par les gouvernements. Ils ont également insisté pour que les gardiens dénés Ni Hat’ni participent à la gestion des aires protégées en assurant une surveillance fondée sur le savoir autochtone et la science occidentale.
Le parc national des monts Torngat, au Labrador
Au point le plus au nord du Labrador, les versants escarpés des monts Torngat plongent dans l’océan. Cette région, située en territoire inuit, a été désignée réserve de parc national à la suite de la signature de l’Accord sur les revendications territoriales des Inuits du Labrador en 2005.
Aujourd’hui, le Conseil de gestion coopérative facilite le partenariat entre les Inuits et Parcs Canada. Le savoir et la culture inuits ont été intégrés à toutes les facettes de la gestion du parc. La direction du parc a été confiée à Gary Baikie, un Inuit, qui agit à titre de superintendant. C'est le seul parc au Canada à compter un employé inuit à temps plein.
Le camp de base et la station de recherche des monts Torngat – possédés et exploités par les Inuits du Labrador – sont des lieux de rencontre où les visiteurs, chercheurs, employés du parc, aînés et jeunes inuits du Nunatsiavut et du Nunavik peuvent apprendre les uns des autres.
Tursujuq Park, au Québec
Tursujuq s’étend sur 26 000 km2. C'est l'un des plus grands parcs provinciaux du Canada. Il commence à l'est de la baie d'Hudson et couvre la zone de transition entre la forêt boréale et la toundra, offrant un habitat au phoque commun d’eau douce, au béluga, au caribou et à d'innombrables autres espèces.
La création du parc est l'aboutissement d’un processus conjoint entre les Inuits et le gouvernement du Québec. Les parcs du Nunavik – la région qui couvre le tiers du territoire du Québec le plus au Nord – sont exploités par l’Administration régionale Kativik (ARK). L’ARK a élaboré un plan d’aménagement du territoire qui prévoit la création de plusieurs aires protégées qui avaient aussi été ciblées par le gouvernement du Québec.
Tursujuq était l'une de ces aires, et après une vaste consultation auprès des communautés, elle a été établie en 2013 comme parc national du Québec sous la gestion de l'ARK. Les Inuits et les Cris continuent de pratiquer des activités de subsistance dans l'ensemble du parc. Deux villages hôtes, Umiujaq et Kuujjuaraapik, servent de points de départ aux visiteurs venus explorer la région.
Réserve de parc national et site du patrimoine haïda Gwaii Haanas
Au large de la côte de la Colombie-Britannique, un partenariat entre la nation haïda et les gouvernements a mené à la création de la réserve de parc national et site du patrimoine haïda Gwaii Haanas.
En 1985, la nation haïda a désigné les terres de Moresby Sud comme site du patrimoine haïda. Quatre ans plus tard, reconnaissant la valeur de leur patrimoine naturel et culturel, les gouvernements de la Colombie-Britannique et du Canada ont conclu une entente désignant ces terres comme réserve de parc national. Par la suite, en 1993, le gouvernement du Canada et le Conseil de la Nation haïda ont signé l’Entente sur Gwaii Haanas, qui prévoit une approche novatrice par laquelle les deux parties sont appelées à gérer conjointement l'aire protégée.
L'entente respecte les perspectives des deux parties sur la propriété et la compétence – reconnaissant même que ces points de vue peuvent être opposés sur certaines questions – et offre aux deux parties la possibilité de coopérer comme partenaires dans la planification, la gestion et l'exploitation de la région.
Aujourd’hui, la nation haïda et le gouvernement du Canada gèrent conjointement Gwaii Haanas. Une équipe de gardiens autochtones – les gardiens haïdas – veillent sur ce territoire au nom de la nation haïda. Ils patrouillent sur la côte et accueillent les visiteurs venus découvrir les sites culturels.
Le bassin hydrographique nord de la rivière des Français, en Ontario
La rivière des Français est l’un des derniers bassins versants du nord de l’Ontario à avoir échappé à toute forme d'exploitation. La rivière commence au nord de Cochrane et se déverse dans la baie James. Son eau est si pure qu’on peut la boire directement.
La Première Nation Moose Cree veille sur la rivière des Français selon ses propres lois et soutient le travail de scientifiques, d’entreprises forestières, de groupes de conservation de la nature et de milliers de Canadiens. Le gouvernement ontarien n’a pas encore reconnu l’importance de ce rôle et il continue de favoriser l’exploitation minière et d’autres projets industriels dans cette région.
La rivière des Français fait partie des basses terres de la baie d'Hudson, une zone humide d'une importance considérable pour le climat, l'eau douce et la biodiversité. Le bassin versant fournit également un habitat vital pour le caribou, une espèce menacée, et les experts estiment que les basses terres de la baie d'Hudson et de la baie James retiennent environ 38 milliards de tonnes de carbone.
En protégeant ce bassin versant, la Première Nation Moose Cree contribue au rétablissement de la population de caribou, à la conservation de la biodiversité et à la lutte contre les changements climatiques. Si l'Ontario reconnaît la contribution de la Première Nation aux objectifs de la province, les deux gouvernements pourraient collaborer dans un esprit de réconciliation et finaliser ensemble le processus de création de cette aire protégée autochtone.