Aller de l’avant avec les gardiens autochtones : Témoignage sur les incendies dans le parc national de Jasper

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23 octobre, 2023

Le 23 octobre 2024, le Comité de l’environnement et du développement durable de la Chambre des communes a tenu une audience sur les « facteurs qui ont mené aux récents incendies dans le parc national de Jasper. » Amy Cardinal Christianson, Ph. D., conseillère de politique pour l’Initiative de leadership autochtone, a fait part du témoignage suivant.


Je m’appelle Amy Cardinal Christianson. Je vis dans la région du Traité no 6, à Rocky Mountain House, en Alberta. Je suis membre de la nation métisse et j’appartiens aux familles Cardinal et Laboucane des régions du Traité no 6 et du Traité no 8. La bande de ma famille, la bande Peeaysis, a été privée de ses droits par le gouvernement canadien. Ma famille avait l’habitude de traverser Jasper dans ses activités de commerce, mais je n’ai pas de droits autochtones ni de territoire dans cette région et je soutiens pleinement les détenteurs de droits autochtones qui s’y trouvent. J’aborde ce témoignage d’un point de vue national, à la lumière de mon rôle passé de chercheure scientifique au sein du Service canadien des forêts pendant 15 ans, des deux années que j’ai passées en tant que spécialiste autochtone des incendies à Parcs Canada et de mon rôle actuel à l’Initiative de leadership autochtone.

 Je tiens tout d’abord à exprimer ma compassion et ma solidarité à mes collègues de Parcs Canada, qui ont dû non seulement faire face à l’incendie qui s’est produit là‑bas et à la relance qu’ils entreprennent actuellement, mais aussi à des audiences comme celle‑ci, où les gens tentent de pointer du doigt des situations incroyablement complexes qui se préparent depuis des générations. 

Je sais à quel point vous avez travaillé dur avant les incendies. Je sais ce que vous avez enduré pendant les incendies et je vous soutiens pleinement dans votre démarche.

Comme l’ont indiqué les témoins autochtones précédents, le problème des incendies dans le parc national Jasper a commencé en 1907, lorsque le parc national a été créé et que les populations autochtones ont été déplacées de force. Ces populations avaient des liens étroits distincts avec les paysages culturels de la région, y compris des pratiques d’intendance du feu telles que le brûlage fréquent des fonds de vallée pour assurer la diversité du paysage, en coordination avec notre maître de pensée, la foudre. Aujourd’hui, lorsque les gens se rendent dans des parcs nationaux comme Jasper, ils observent un tapis d’arbres vert foncé à perte de vue et pensent que c’est beau et naturel;  il n’en est rien. C’est un paysage malsain qui souffre. Il ne s’adapte pas aux changements climatiques causés par l’homme, ce qui accroît encore le problème des incendies.

Nos Aînés parlent d’une « forêt affamée », car il faut aller très loin pour trouver une quelconque forme de diversité. Ces forêts homogènes, où les arbres ont tous à peu près le même âge et la même sorte d’espèce, sont sujettes à des perturbations telles que les insectes et les incendies incontrôlés. Je tiens à préciser que le feu n’est pas une perturbation du paysage, même si nous le traitons comme tel. C’est plutôt l’élimination du feu dans les forêts qui dépendent du feu au Canada qui a été la perturbation la plus importante.

À mon réveil le lendemain de l’incendie de Jasper, j’ai reçu de nombreux messages de la part d’Autochtones détenteurs de droits dans cette région, me disant que cela ne serait jamais arrivé s’ils avaient été autorisés à poursuivre leur relation avec le feu sur les terres et dans les vallées de Jasper.

 Je tiens également à souligner que ce qui s’est passé à Jasper n’est pas unique. Partout au Canada, des collectivités autochtones sont régulièrement touchées de manière disproportionnée par les incendies de forêt. Au cours des deux dernières années, 149 collectivités autochtones ont été évacuées à la suite d’un incendie de forêt. Je le répète. Cent quarante-neuf collectivités autochtones ont été évacuées en raison d’incendies de forêt au cours des deux dernières années, alors que les nations et les populations autochtones sont constamment exclues du processus décisionnel relatif à la gestion des incendies.

Les évacuations pour cause d’incendie sont coûteuses. Nous estimons qu’au cours des 42 dernières années, les évacuations pour cause d’incendie de forêt ont coûté 4,6 milliards de dollars à l’économie canadienne. Ce chiffre n’inclut même pas le coût de la lutte contre les incendies, mais seulement celui du déplacement des personnes.

Au fil des ans, nous avons dépensé des centaines de millions de dollars au Canada pour faire venir des pompiers internationaux qui ne connaissent pas notre paysage. Nous dépensons des centaines de millions pour des avions de lutte contre les incendies qui, à terme, devront être modernisés ou remplacés. Les gens commencent à réclamer une force fédérale de lutte contre les incendies, mais une bureaucratie accrue avec des personnes encore plus éloignées du savoir local n’est pas la solution.

Il existe déjà au Canada un groupe qui pourrait faire office de force nette de lutte contre les incendies à l’échelle nationale et qui ne demande qu’à être activé : les gardiens autochtones. 

Plus de 200 programmes de gardiens des Premières Nations, fonctionnant toute l’année, aident déjà à l’intendance des terres et des eaux dans tout le pays. Certains participent à la lutte contre les incendies. Lorsque le feu a menacé Fort Good Hope, dans les Territoires du Nord-Ouest, en juin dernier, les gardiens étaient prêts. Ils ont aidé à évacuer les membres de la collectivité et, grâce à la formation dispensée par le Service de lutte contre les feux de forêt des Premières Nations du Yukon, ils ont rejoint la ligne de feu et contribué à sauver la ville.

En élargissant les programmes de gardiens existants et en investissant dans de nouveaux programmes de gardiens du feu, nous pouvons créer à l’échelle locale une flotte de professionnels compétents prêts à intervenir en cas d’incendie et à réduire les risques. Les gardiens du feu autochtones travailleront toute l’année sur les incendies. Ils pourront mettre le feu à la terre au printemps et à l’automne, une technique qui s’est révélée efficace pour réduire les risques d’incendie pendant les étés chauds et secs. Ils travailleront à la gestion des urgences, à la planification, à l’éducation, à la préparation et à la prévention des incendies, ainsi qu’à l’intervention et à la relance subséquente. La végétation repousse également, et ils seront là pour s’assurer que les travaux de réduction des risques d’incendie sont maintenus. Ils s’efforceront de créer des paysages sains qui protégeront également nos bassins hydrographiques vitaux. 

Cela permet non seulement d’améliorer la capacité d’intendance de cette nouvelle zone d’incendie, mais aussi de créer des emplois. Engager davantage de gardiens dans la lutte contre les incendies de forêt est un investissement qui porte ses fruits. Je reviens tout juste d’Australie où les garde-feux autochtones exercent une influence positive considérable. Cela permettrait aux nations autochtones du Canada de relever le défi des incendies surpuissants avec une plus grande capacité et un savoir autochtone local. Le feu existera toujours, mais nous pouvons changer notre relation avec lui. Le leadership autochtone est l’avenir du feu.

 

 
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