6 principes pour la conservation dirigée par les Autochtones dans lecadre de la Décennie de l’Océan

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18 octobre 2024

Par Frank Brown

Au Canada et dans le monde, le domaine de la conservation de la nature évolue rapidement, ouvrant la voie à création d’initiatives durables dirigées par les Autochtones. Ces initiatives présentent des occasions de faire avancer la réconciliation, de réparer un des torts du colonialisme qui a consisté à séparer les peuples autochtones de leurs responsabilités en matière d’intendance. La conservation dirigée par les Autochtones rétablit la responsabilité sacrée de veiller sur les terres et les eaux. Le succès de la conservation dirigée par les Autochtones dépendra de l’établissement de partenariats mutuellement avantageux qui permettront d’aborder des questions importantes concernant le savoir, le pouvoir décisionnel, la collaboration et l’affirmation de la nationalité autochtone.

La force de la collaboration dans les espaces océaniques

Le Financement de projets pour la permanence (FPP) du projet de la mer de Great Bear, annoncé cet été, marque une nouvelle ère de collaboration dans le domaine de la conservation et de l’intendance du milieu maritime. Les mesures de protection de la mer Great Bear, également connue sous le nom de biorégion du plateau Nord, s’ajoutent aux les mesures de conservation en place dans la forêt pluviale de Great Bear. La région, qui compte plus de 78 000 km 2 de terres et d’eaux protégées, constitue un modèle en matière d’intensification des efforts de conservation dirigée par les Autochtones.

Le FPP sur projet de la mer Great Bear est un partenariat entre 17 Premières Nations, le gouvernement provincial de la Colombie-Britannique et le gouvernement fédéral, qui jouit par ailleurs du soutien d’investisseurs du secteur de la philanthropie. De telles initiatives régionales trilatérales officielles en matière de conservation voient le jour au moment où les aires protégées et de conservation autochtones (APCA) deviennent des outils puissants pour la conservation de la nature. Depuis des décennies, les Premières Nations de Colombie-Britannique luttent pour la reconnaissance de leur autorité légitime et inhérente à gouverner ces espaces. L’affirmation de cette autorité nécessitera l’établissement de nouvelles relations dans l’élaboration et la gestion des politiques en matière de conservation.

On assiste également à l’émergence de nouvelles relations dans des contextes transnationaux, comme les régions Alaska-Yukon, C.-B.-Washington, Alberta-Montana et la région des Grands Lacs. L’ILA apporte son soutien aux nouvelles initiatives axées sur la gouvernance internationale dans ces régions, comme l’ essor d’un mouvement en faveur des programmes des gardiens autochtones aux États-Unis .

Sur quelle source de savoir l’intendance maritime s’appuiera-t-elle?

Ces relations régionales et internationales devront s’appuyer sur de nouveaux modes de collaboration entre les systèmes de connaissances, les cultures et les biorégions. Ce constat apparaît évident dans le domaine marin et océanique. La décennie 2021 à 2030 est la Décennie des Nations Unies pour les sciences océaniques au service du développement durable. La conservation et les mesures climatiques dirigées par les Autochtones peuvent aider à répondre à plusieurs des dix défis recensés pour cette décennie. Quelles sources de savoir susciteront les réussites dans ce domaine d’ici 2030?

Quelles sources de savoir orienteront la règlementation et les décisions relatives aux environnements marins et océaniques? La Première Nation Heiltsuk continue d’attendre que la justice environnementale soit véritablement rendue, huit ans après la dégradation de l’environnement causée par les carburants qui se sont déversés dans les eaux des Heiltsuk à partir du navire Nathan E. Stewart, qui s’est échoué. Malgré les tentatives du gouvernement de modifier les processus réglementaires en matière d’environnement – notamment par l’entremise du Cadre stratégique sur le savoir autochtone dans le contexte des examens de projets et des décisions réglementaires du gouvernement fédéral, la compétence des Premières Nations dans ce domaine, et son fondement dans le savoir, les valeurs et les lois autochtones, continuent d’être largement ignorés.

Principes pour une coexistence axée sur le lieu dans des contextes régionaux et transfrontaliers

Encore aujourd’hui, les gouvernements fédéral et provinciaux contrôlent la prise de décision en matière de conservation de la nature. Toutefois, les exemples ci-dessus montrent qu’une autre voie est possible. Il est possible de remplacer une prise de décision émanant des gouvernements par une coexistence axée sur le lieu. Cette démarche s’appuie sur la force des lois autochtones, au moment où les communautés autochtones travaillent ensemble pour changer la façon dont les décisions relatives à la conservation sont prises et mises en application.

La coexistence axée sur le lieu est intimement liée aux terres et aux eaux. Les lieux sont des marqueurs de coexistence qui relient les générations passées, présentes et futures grâce aux récits des liens établis avec les terres et les eaux. Les excursions en canot sont un exemple tangible de ces marqueurs, car ils mettent en relation les lieux, renforcent les liens interculturels et favorisent l’intendance multigénérationnelle – dans le domaine du savoir comme dans la pratique.

S’appuyer sur la conservation dirigée par les Autochtones pour trouver des voies de coexistence dans un lieu donné n’est pas toujours facile. Voici six principes susceptibles d’esquisser de telles voies au profit de la conservation dirigée par les Autochtones, aujourd’hui et à l’avenir. 

  1. Réconcilier des mondes différents.

    Tirer parti de systèmes de connaissances multiples suppose de démanteler les anciennes hiérarchies. Depuis les débuts du colonialisme, le savoir autochtone a été ignoré et les pratiques d’intendance fondées sur la culture ont été réprimées. Pourtant, ils n’ont pas disparu et les peuples autochtones réaffirment aujourd’hui leurs responsabilités en matière d’intendance, leurs pratiques culturelles et leurs systèmes de savoir multigénérationnels. En travaillant ensemble, les communautés autochtones seront plus à même d’affirmer leur savoir en matière de conservation. 

    Les partenaires non autochtones peinent parfois à intégrer les systèmes de savoir multiples dans leur travail. Le savoir autochtone doit être le point de départ de la gouvernance maritime dans les territoires non cédés, et il faut tirer parti du meilleur de la science occidentale pour soutenir le leadership et la prise de décision des Autochtones. 

  2. Respecter le droit et la compétence des Premières Nations : 

    Les nouveaux cadres et règlements en matière de gouvernance ne suppriment pas les droits inhérents qui sont reconnus et affirmés à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Des initiatives telles que le FPP du projet de la mer de Great Bear affirment les droits et la compétence des Premières Nations. Dans le cadre de ces initiatives, les Premières Nations peuvent mettre en place leurs propres processus en matière d’autonomie gouvernementale et affirmer leur compétence. Il faut agir de manière proactive pour aider les Premières Nations à collaborer à l’application de leurs lois, et pour aider les gouvernements fédéral et provinciaux à considérer le droit autochtone comme égal au droit des colons.

  3. Créer des espaces de mobilisation éthiques et dirigés par des Autochtones :

    Les Premières Nations ont le droit de protéger et de préserver leur savoir. Cette démarche est soutenue par des cadres comme PCAP (propriété, contrôle, accès et possession) et la Stratégie de gouvernance des données des Premières Nations approuvée par le gouvernement fédéral. Ces principes et pratiques doivent être intégrés au cadre de la gouvernance maritime. Comment fonctionneront-ils dans le cadre d’initiatives régionales et transfrontalières? Il faut créer des espaces éthiques qui incitent les Premières Nations à collaborer à la mise en application de leur savoir et de leurs lois. Les réglementations ne doivent pas contraindre les Premières Nations à céder leur savoir aux gouvernements colonisateurs ou à être privés de leur droit d’autoriser ou non que leur savoir soit utilisé. Le savoir autochtone doit être utilisé selon des modalités définies par les Autochtones, et les processus de résolution des conflits doivent s’appuyer sur la culture. Par exemple, l’affirmation par la Première Nation Heiltsuk des Ǧviḷ̓ás (lois Heiltsuk) à la suite du déversement du Nathan E. Stewart devrait être le point de départ d’une mesure réglementaire exécutoire.

  4. Travailler ensemble – mettre on œuvre les approches autochtones dans la gouvernance des océans et des mers.

    De nombreuses approches autochtones peuvent servir à dégager des principes directeurs dans le cadre du dialogue et de la prise de décision entre les cultures. Par exemple, depuis au moins 2004, Albert Marshall, un Aîné Mi’kmaw, préconise l’« approche à double optique » comme moyen d’intégrer différents systèmes de connaissances dans notre travail. En’owkin (ou En’owkinwixw) est un processus de dialogue consensuel issu de l’Okanagan qui s’est révélé efficace pour protéger les milieux aquatiques. Les Premières Nations peuvent collaborer à l’élaboration de cadres régionaux autochtones afin de guider les partenaires non autochtones dans l’application de mesures de conservation dans le respect des lois, des cultures et des coutumes autochtones en matière de partage des connaissances.

  5. Renforcer les capacités institutionnelles pour une prise de décision éclairée.

    Les systèmes de savoirs autochtones multigénérationnels sont axés sur les terres et les eaux. Leurs résultats peuvent pallier les lacunes de connaissances dans des domaines environnementaux clés, comme celui des impacts des changements environnementaux sur les écosystèmes et la biodiversité. Les gardiens autochtones œuvrent sur les terres et les eaux. Ils recueillent des connaissances et des informations qui s’intègrent dans les systèmes de savoirs autochtones et occidentaux. Les initiatives régionales et transfrontalières doivent investir dans le renforcement des capacités institutionnelles autochtones afin de fournir les données nécessaires à la prise de décisions clés en matière d’environnement. Sans ce renforcement des capacités, les décisions continueront d’être prises sur la base d’informations insuffisantes ou déconnectées des réalités et des moyens de subsistance locaux.

  6. La cogouvernance pour une réconciliation en continu.

    La réconciliation n’est pas simplement une tâche à accomplir parmi une série d’orientations en matière de consultation. On observe depuis quelques années des progrès dans l’élaboration des protocoles de réconciliation avec certaines Premières Nations. Les Premières Nations côtières ont quant à elles adopté une approche collective régionale pour améliorer les relations entre les Autochtones et le gouvernement.

    Toutefois, la mise en œuvre du FPP du projet de la mer de Great Bear n’est pas une fin en soi. C’est un signe des changements à venir, qui témoigne du recours croissant à la prise de décision conjointe. Les initiatives telles que le FPP du projet de la mer de Great Bear sont importantes, car elles contribuent à assurer une continuité non partisane, en établissant des structures qui perdurent indépendamment des changements de gouvernement. Elles fournissent également un modèle pour faire progresser les relations et la prise de décision conjointe dans l’ensemble du pays.



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