« La relation des Autochtones avec le feu s’étend sur toute l’année » Questions et réponses en compagnie d’Amy Cardinal Christianson, Ph. D.

Amy Cardinal Christianson, Ph. D., s’adonne à la pratique du brûlage sur le territoire.

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Après une saison marquée par des incendies de forêt dévastateurs en 2023, le Canada s’apprête à connaître d’autres incendies sans précédent. Pour composer avec cette nouvelle réalité, le savoir autochtone offre des pistes de solution.

L’intendance dirigée par les Autochtones adopte une vision holistique du feu. Il ne s’agit pas seulement d’éteindre les incendies, mais aussi de mener des brûlages à certains endroits pour diminuer le risque d’incendies incontrôlés. Nous interagissons avec le feu tout au long de l’année.

Nouvellement arrivée au sein de l’équipe de l’Initiative de leadership autochtone, Amy Cardinal Christianson, Ph. D., est une chercheuse scientifique spécialisée dans la gestion autochtone des incendies, dans le recours aux pompiers autochtones et dans les évacuations d’animaux sauvages. Elle fait part ici de ses réflexions sur les approches autochtones en matière de feu.

Q. Quel est le rôle du feu sur les territoires?

De nombreuses forêts au Canada dépendent du feu, y compris la forêt boréale. Le feu est nécessaire à la croissance et à la propagation de certaines plantes. Le pin gris, par exemple, a besoin du feu pour que son cône s’ouvre et libère ses graines. Sans feu, les framboisiers s’allongent, ont plus d’épines et sont envahis par la végétation. Ils produisent aussi moins de baies. Mais un feu de faible intensité permet de produire des fruits bien mûrs et rend les buissons plus foisonnants et plus sains.

Les éclairs provoquent des incendies dans la forêt boréale. Comme nous n’essayons pas de les éviter, les incendies surviennent régulièrement et produisent une mosaïque de communautés végétales sur le territoire. Une mosaïque est une zone où l’on trouve des forêts de différents types et de tous âges sur une surface réduite, de sorte que les incendies ne prennent pas autant d’ampleur. Ces incendies créent de la diversité sur les territoires, où l’on retrouve des arbres anciens et plus jeunes, des prairies, des petits fruits et d’autres plantes.

Q. Comment décririez-vous les brûlages culturels?

Les brûlages culturels consistent à faire brûler une parcelle de terre pour atteindre certains objectifs culturels. Les populations autochtones vivent sur le territoire depuis des millénaires, et le territoire est source de précieux enseignements. Les gens y ont vu les effets des brûlages, tout comme la végétation qui en découle. Au fil du temps, les peuples autochtones ont appris à utiliser le feu à leur avantage. Ils mènent des brûlages sur le territoire à des fins culturelles à des périodes où le risque d’incendies de forêt est peu élevé. 

Les peuples autochtones ont appris à quels moments le brûlage présente peu de risques et à quelles périodes le territoire a besoin de ces brûlages dirigés. Au Canada, il a souvent lieu au début du printemps ou à la fin de l’automne, où l’on assiste généralement à la fonte des neiges ou à des précipitations de neige. Nous disons alors qu’il s’agit d’un brûlage efficace, car il produit des effets bénéfiques sur le territoire. C’est bon pour assurer notre survie et celles des espèces proches de nous comme le cerf, l’orignal et le lapin qui mangent les jeunes herbes qui poussent dans les zones brûlées. Et c’est bon pour la culture, y compris pour des activités telles que la vannerie. Il faut veiller sur le saule si l’on veut qu’il produise des branches plus longues et sans parasites qui serviront ensuite à la confection de paniers.

Q. Vous avez fait allusion à une meilleure façon d’intégrer le feu dans notre vie. De quoi s’agit-il précisément?

Les Aînés nous disent souvent que « la forêt doit être nettoyée ». Pratiquer le brûlage lorsqu’il est sécuritaire de le faire permet de brûler les broussailles, les branches mortes, les troncs d’arbres et les herbes. Ces végétaux sont transformés en cendres, les nutriments pénètrent dans le sol, et il se crée une réserve de semences de nouvelles plantes indigènes et de différentes espèces d’arbres. Les bons brûlages aident les peuples autochtones à accroître la diversité à proximité de leur milieu de vie. C’est comme créer un verger de ressources autour d’une communauté.

Lorsque nous n’avons pas fait de bon brûlage depuis longtemps, certains Aînés disent que « la forêt a faim ». Cette forêt devient alors une vaste monoculture d’arbres de la même espèce et du même âge et il faut donc parcourir une grande distance pour obtenir ce dont on a besoin.

Q. Quels sont des exemples de leadership autochtone en matière de gestion des incendies?

On observe beaucoup d’initiatives positives en matière de gestion autochtone du feu. L’équipe des Muskrats to Moose accomplit un travail remarquable dans le delta de la rivière Saskatchewan, où une espèce d’herbe envahissante est maintenant dominante. L’herbe n’est pas assez nutritive, donc les rats musqués ne la mangent pas. La population de rats musqués a chuté et les individus restants sont très maigres. Aujourd’hui, ils utilisent le brûlage culturel pour brûler cette herbe envahissante et rétablir les populations de plantes indigènes. Lors d’études, on a mesuré le poids des rats musqués avant et après le brûlage. Les chercheurs soulignent les avantages de brûler l’herbe. [Visionnez une courte vidéo du projet ici.]

Malheureusement, pour de nombreuses communautés, la pratique du brûlage demeure limitée en raison des restrictions imposées par le gouvernement colonial. Les gouvernements autorisent parfois un petit projet de brûlage ici et là, mais cela ne tient pas compte du portrait global de l’utilisation du feu à l’échelle du territoire.  La fréquence des brûlages culturels est très importante : la végétation pousse, donc si vous ne la brûlez pas assez souvent, vous en perdrez les avantages. Dans le cas de l’herbe, il faut espacer les brûlages de quelques années – les brûlages ponctuels ne sont donc pas suffisants.

Q. Quel est, selon vous, le rôle des gardiens dans la gestion du feu?

Je suis très enthousiaste quant au rôle des gardiens dans la gestion du feu. Des programmes efficaces sont déjà en cours d’élaboration. Tous les territoires au Canada connaîtront des incendies et, sous l’effet des changements climatiques, les incendies risquent de gagner des zones inattendues, comme les côtes. En ayant des gardiens bien formés aux bons endroits, nous pouvons jouer un rôle important, en particulier dans la forêt boréale où les agences de lutte contre les incendies disposent d’équipes plus petites.

En ce qui concerne le rôle des gardiens dans la gestion du feu, je vois deux mesures à mettre de l’avant.

La première consiste à former les gardiens à intervenir en cas d’incendie. Les gardiens ont une connaissance approfondie des territoires et ils savent quelles zones sont particulièrement importantes pour les communautés. Les agences provinciales et territoriales se concentrent souvent sur les bâtiments, les industries et les infrastructures, mais ce n’est pas tout ce qui compte pour les Autochtones. Pensons à la cabane d’un trappeur dans le Nord. Une agence de lutte contre les incendies arrivera peut-être à protéger la cabane, mais si tout le territoire qui l’entoure brûle, comment le piégeage sera-t-il possible? Ce territoire sera inutilisable pendant des générations. En étant présents sur le territoire, les gardiens peuvent fournir des conseils sur le lieu de déploiement optimal des moyens d’intervention en cas d’incendie.

La deuxième mesure consiste à former des gardiens du feu spécialisés. Ces gardiens, qui seraient employés tout au long de l’année pour lutter contre les incendies, pratiqueraient également des brûlages culturels et participeraient à des initiatives axées sur la prévention, l’éducation, la planification des évacuations et le rétablissement après un incendie de forêt. Nous oublions souvent la période de rétablissement à la suite d’un incendie; les gardiens peuvent se rendre sur le terrain et déterminer les mesures nécessaires pour restaurer le territoire et les valeurs culturelles.

Q. Quel type de formation les gardiens devraient-ils suivre en matière de lutte contre les incendies?

Je privilégie l’approche « atteindre et dépasser », qui consiste à répondre aux exigences coloniales, comme la formation usuelle de lutte contre les incendies et les exigences en matière de santé et de sécurité au travail. Ce qui est formidable dans le cas des gardiens, c’est qu’ils apprennent des gardiens du savoir et des porteurs de feu. Ils se rendent sur leur territoire en compagnie des Aînés. Ils apprennent à quel moment faire un brûlage et quel type de brûlage doit être pratiqué sur le territoire.   Ces pratiques vont au-delà des normes coloniales. En Australie, la Firesticks Alliance adopte une approche similaire.

De nombreuses nations autochtones veulent affirmer leur souveraineté en désignant les personnes qu’ils jugent être des expertes du feu et celles qui peuvent décider des mesures à prendre en la matière sur leur territoire. Les gardiens peuvent élaborer les pratiques exemplaires en matière de formation et de certification pour les nations qui s’efforcent de mettre en place d’autres programmes de lutte contre les incendies. Et l’étendue des connaissances des gardiens à l’égard du territoire fait que nous pourrions abandonner certaines normes coloniales et créer nos propres normes dans le cadre des programmes des gardiens.

Q. De quelle façon les gardiens et les autres porteurs de feu autochtones peuvent-ils participer à la gestion du feu à l’ère des changements climatiques?

J’entends souvent dire que les connaissances autochtones ne peuvent s’appliquer aux changements climatiques. Les gens disent : « C’est bien que vous ayez pratiqué le brûlage il y a 100 ans, mais le territoire a changé depuis ». Mais les peuples autochtones se sont toujours adaptés à leurs territoires, et ils y participent toujours activement. Ils voient les changements. La plupart des Aînés disent : « Il est encore trop tôt pour pratiquer le brûlage sur le territoire. Nous devons d’abord faire un élagage à la main ou à l’aide de machines, puis nous pouvons pratiquer un vaste brûlage sur le territoire et répéter cette pratique à intervalles réguliers ».

Même en cette période marquée par les changements climatiques, le brûlage est considéré comme une bonne mesure d’adaptation qui permet de réduire l’intensité des incendies.

Pour être efficaces, les pratiques de brûlage doivent être cycliques. Le brûlage sur le territoire s’appuie sur une série d’indicateurs, et non sur une date précise ou sur l’arrivée de stagiaires. C’est plutôt le bourgeonnement des arbustes à baies, les oiseaux qui se préparent à faire leur nid et la feuillaison des arbres qui indiquent qu’il est temps de recourir au brûlage. Ces cycles peuvent varier en raison des changements climatiques, mais nos systèmes de connaissances s’adaptent facilement.

Q. La saison des incendies s’annonce intense. Qu’est-ce qui vous préoccupe cette année?

Ma principale préoccupation concerne la forêt boréale. C’est un écosystème qui dépend fortement des incendies, mais en raison des politiques de gestion actuelle, il est devenu davantage une monoculture, formée des mêmes peuplements, du même âge et constitué des mêmes espèces. Lorsque les incendies se déclenchent dans ces conditions, ils brûlent et se déplacent rapidement.

La sécheresse est intense dans le nord de la forêt boréale. Il y a aussi les feux résiduels ou zombies – des incendies qui couvent sous le sol, même sous la neige, et qui reprennent vie lorsque celle-ci commence à fondre. Ces feux résiduels augmentent les risques d’incendie lors de la saison des feux de forêt.

Q. Qu’est-ce qui vous donne de l’espoir?

Les programmes des gardiens me donnent de l’espoir. C’est en partie pour cette raison que je me suis jointe à l’équipe de l’Initiative de leadership autochtone. C’est là que je vois l’avenir du feu. Les communautés ont les solutions. De nombreuses études fondées sur les connaissances autochtones et les sciences sociales occidentales révèlent que les solutions ne proviendront pas des centres urbains. Elles émaneront d’endroits où les gens connaissent bien leur territoire. 

Aux États-Unis et dans le monde, des gens ont eu recours de manière répétée à des brûlages efficaces sur les terres autour de leur maison, ce qui a permis de réduire l’intensité et les répercussions des incendies.

Les peuples autochtones détiennent ce savoir depuis des millénaires. Aujourd’hui, les non-Autochtones redécouvrent qu’il s’agit peut-être d’une bonne solution. La plupart des Autochtones disent : « Oui, nous vous l’avons dit. Maintenant, donnez-nous l’espace pour mettre cela en pratique ».

Cette approche a fait ses preuves. Il est temps de passer à l’action. Nous devons soutenir de manière continue et à long terme les programmes des gardiens qui pratiquent des brûlages efficaces sur les territoires.

Le plus souvent, les porteurs de feu autochtones pratiquent le brûlage sur le territoire au début du printemps ou à la fin de l’automne, des périodes marquées par la fonte des neiges ou par des précipitations de neige.







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