« Un cadeau pour la planète » : réflexions sur la conservation dirigée par les Autochtones »
Par Valérie Courtois
Les terres gérées par les peuples autochtones abritent 80 % de la biodiversité restante de la planète. Ces espèces survivent grâce à l’amour du territoire et aux soins prodigués par les peuples autochtones. Notre identité et notre existence même dépendent de la santé de nos terres, de nos étendues d’eau et des espèces qui y vivent. Pour survivre dans des régions parmi les plus inhospitalières, mon peuple, les Innus, dépend depuis des millénaires de la chasse au caribou. Les aînés disent : « Les Innus et le caribou ne font qu’un. Si le caribou venait à disparaître, il en serait de même de notre peuple ».
Lors d'un récent événement organisé par l'Initiative de leadership autochtone, le très honorable Paul Martin a souligné le rôle que jouent les systèmes de savoir autochtone dans le maintien de la santé de notre pays et de notre planète. Il a souligné le travail des gardiens autochtones, qui aident à combattre ces crises interreliées.
« La perspicacité des gardiens est sans pareil. Nous devrions suivre leurs enseignements, a déclaré M. Martin. Les gardiens restaurent les habitats du saumon, du caribou, du thuya géant et des oiseaux migrateurs dans tout le pays. Ce faisant, ils veillent à ce que nos petits-enfants, les miens et les vôtres, vivent dans un monde où les animaux sauvages, les oiseaux et les poissons sont abondants.
Cet événement, Nos valeurs communes : la conservation, la nationalité autochtone et le leadership international a pris la forme d’un panel de discussion ouvert au public et auquel participaient M. Martin, l’honorable Ethel Blondin-Andrew et l’ambassadeur Bob Rae. À cette occasion, le Chef national Perry Pellegarde s’est adressé aux participants par vidéo. J'ai eu le privilège d’animer l'événement, et comme les panélistes travaillent ensemble depuis des décennies, j'ai eu l'impression d’assister à des retrouvailles d’amis de longue date. Ils ont discuté, se sont taquinés et ont exploré ensemble des questions qui nous concernent tous.
À plusieurs reprises, les panélistes ont parlé de la conservation dirigée par les Autochtones comme d'un « cadeau pour le Canada ». Cette forme d’intendance, ont-ils convenu, contribuera à bâtir un avenir plus durable pour tous les habitants de ce pays.
Le leadership des Autochtones en matière de solutions climatiques et de protection de la biodiversité
Tous les invités ont abordé la question des menaces que posent les changements climatiques et la perte de biodiversité. « Nous avons vécu de façon profondément déséquilibrée par rapport à la nature, a déclaré l'ambassadeur Rae. Mais les choses sont en train de changer, en partie grâce aux valeurs, à l’intendance, à l'autodétermination des Autochtones ainsi qu’à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Nous vivons à une époque passionnante. Nous sortons d'une longue période sombre et nous entrons dans une période où des changements profonds et extraordinaires sont possibles. »
Les systèmes de connaissances autochtones offrent d’autres façons de concevoir notre relation à la terre – des approches qui permettront de rétablir l'équilibre et de résoudre les problèmes environnementaux.
« Les aires protégées et de conservation autochtones et les programmes des gardiens autochtones constituent la meilleure stratégie pour lutter contre les changements climatiques et la perte de biodiversité », a déclaré Mme Blondin-Andrew, qui vit à Norman Wells, dans les Territoires du Nord-Ouest, un secteur de la forêt boréale qui s'étend sur tout le pays. Les sols et les tourbières de la forêt boréale stockent de grandes quantités de carbone, soit l'équivalent de 36 années d'émissions mondiales de gaz à effet de serre. Plusieurs nations autochtones ont proposé de conserver de vastes zones de la forêt boréale, afin de garantir que le carbone y reste stocké en toute sécurité.
Le Canada s'est fixé comme objectif d'être un leader mondial en matière d'action climatique et de biodiversité. En soutenant des solutions telles que les aires protégées et de conservation autochtones, le Canada pourra tenir ses promesses. « Le Canada abrite 85 % de la forêt boréale nord-américaine, a déclaré Mme Blondin-Andrew. Si nous tenons réellement au maintien de cette biodiversité, nous avons l'énorme responsabilité de montrer l'exemple en protégeant la nature et en agissant de manière juste chez nous ».
La conservation, l’équité et la prospérité
Au cours de la conversation, nous avons discuté de la nécessité d'établir un équilibre entre la conservation de la nature, une plus grande équité et un développement durable. « Notre pays ne peut se permettre d’ignorer la beauté et la valeur de ces territoires, a déclaré M. Martin. Cependant, nous devons reconnaître que les jeunes hommes et femmes autochtones, le groupe qui connaît la plus forte croissance démographique au pays, auront besoin d’un emploi. Nous ne pouvons pas simplement nous attarder à nos différences, à ce qui nous divise. Nous devons parler de solutions, de façons de vivre ensemble ».
Les gardiens jouent un rôle essentiel dans ce processus. Plus de 70 programmes des gardiens autochtones offrent des emplois bien rémunérés et une formation professionnelle aux peuples autochtones du pays. Les études démontrent que pour chaque dollar investi, les programmes des gardiens génèrent 3 $ sous forme d'avantages économiques, sociaux et culturels. Ces programmes permettent également aux nations autochtones de participer à l'évaluation de propositions de projets d’exploitation des ressources naturelles. M. Martin a expliqué de quelle façon les gardiens apportent leur contribution aux processus d’aménagement du territoire, qui permettent de déterminer les zones à protéger et les zones où les projets d’exploitation des ressources sont autorisés. Il lui est arrivé de constater, lors de négociations complexes entourant un projet, la façon dont les gardiens ont su apaiser les tensions des deux côtés.
« Il faut prendre en compte le coût du développement sur une période de dix ans. Il faut évaluer les répercussions économiques dans leur ensemble et à long terme. Ça ne veut pas dire que vous n’entreprendrez pas de projets d’exploitation des ressources, mais que vous le ferez peut-être différemment. »
La nationalité autochtone et un avenir meilleur pour tous
Pour trouver cet équilibre qui permet de protéger les terres et les eaux pour l'avenir, il faudra investir davantage. « Nous devons être prêts à investir dans la conservation, a déclaré l’ambassadeur Rae. Et nous devons comprendre ceci : les initiatives de conservation, tout comme les projets d’exploitation des ressources, procurent des avantages tangibles pour l'ensemble de notre société et de notre économie.
La conservation exige des investissements, notamment parce qu’elle demande une intendance en permanence. Nous croyons parfois que les aires de conservation sont des endroits réservés à une élite et que l’on doit éviter, a déclaré l'ambassadeur Rae. Ce n'est pas le cas. Nous devons en prendre soin si nous voulons bien faire les choses ». M. Rae a souligné le rôle de la souveraineté dans la création d'une durabilité à long terme. « Pour moi, le lien avec l'autonomie gouvernementale est la clé. Les programmes de gardiens sont un aspect essentiel et un prolongement de cette souveraineté ».
Le Chef national Bellegarde a également souligné le lien entre la conservation dirigée par les autochtones, l’affirmation de la nationalité autochtone et les résultats qui profitent à tous les Canadiens. « Notre Assemblée des Premières Nations plaide pour la reconnaissance et le soutien continus des efforts de conservation menés par les Autochtones, notamment la création d’aires protégées et de conservation autochtones et les programmes des gardiens autochtones. Ce sont là des mécanismes essentiels qui permettent aux peuples autochtones d'exercer leurs responsabilités traditionnelles, leurs formes de gouvernance, leurs processus décisionnels et leurs pratiques de gestion et d'intendance du territoire, a-t-il déclaré dans ses remarques préenregistrées. Les gardiens autochtones donnent aux peuples autochtones le pouvoir de faire ce que nous avons toujours fait : protéger La Terre, notre mère, pour les sept prochaines générations ».
Le thème des générations futures est revenu souvent au cours de nos discussions. Tous les panélistes sont des grands-parents, et ils veulent s'assurer que leurs petits-enfants – et les enfants et petits-enfants de tous – héritent d'une planète saine. « Je veux donner à mes petits-enfants les cadeaux que mes grands-parents m'ont offerts : le don de la terre, des animaux et de l'amour de leur peuple », a déclaré Mme Blondin-Andrew.
« Je suis profondément reconnaissant envers les chefs autochtones qui ont accepté de partager leur savoir avec nous, a déclaré M. Martin. Ils rendent un fier service à ce pays et à toutes les générations à venir ».
Merci à M. Martin, à Mme Blondin-Andrew, à l'ambassadeur Rae et au Chef national Bellegarde d'avoir participé à cet événement et d'avoir partagé leur vision de la façon dont nous pouvons créer cet avenir meilleur.