Un outil de partage des connaissances sur la conservation dirigée par les Autochtones

Par Frank Brown

Quand j'étais jeune, j’ai appris à pêcher avec les gardiens du savoir et les aînés de ma nation Heiltsuk. J’ai pu observer des pêcheurs aînés aménager des jardins de varech pour récolter les œufs de hareng. Tant qu’il n’y avait pas au moins quatre ou cinq couches d'œufs sur le varech, ils les laissaient dans l'eau pour laisser croître les populations de hareng. J'ai observé les aînés et écouté leurs récits à propos de notre relation avec les poissons et les eaux qui nous entourent.

Ce savoir – et celui des peuples autochtones de tout le continent – a assuré la survie des animaux, des plantes, des eaux et des terres pendant des millénaires.

Aujourd'hui, notre intendance revêt une importance encore plus grande. Des études montrent que de plus en plus d'espèces sont menacées de disparition en raison de l'exploitation des ressources. De nombreuses recherches font cependant ressortir un point positif. Un récent rapport des Nations Unies et un article scientifique de l’Université de la Colombie-Britannique confirment que les territoires gérés par les peuples autochtones sont plus dynamiques et en meilleure santé.

Il est aujourd’hui plus important que jamais de partager ce savoir. La difficulté consiste à trouver une manière d’y parvenir.

Le rapport intitulé « Staying the Course, Staying Alive – Coastal First Nations’ Fundamental Truths: Biodiversity, Stewardship and Sustainability » propose une structure et un processus pouvant être adaptés à différents contextes – que vous soyez un peuple du saumon, un peuple du caribou, un peuple des montagnes ou un peuple des forêts des basses terres.

Chaque nation a ses propres langues, récits, cartes et modes de savoir autochtones. Ce rapport présente comment transmettre le savoir des Autochtones à l’aide de questions telles que : Quelles sont nos méthodes de récolte? De quelle façon nos récits influencent-ils nos actions envers les animaux? Que révèle notre langue sur notre relation avec le territoire?

Nous explorons ces questions depuis une dizaine d'années. Lors de l’Année internationale de la biodiversité, j'étais conseiller auprès du Conseil de la Colombie-Britannique, dont la plupart des membres étaient des scientifiques occidentaux. En prenant connaissance d’un rapport qu’ils étaient en train de rédiger, je me suis rendu compte qu'il ne tenait pas compte de la vision du monde des Autochtones.

Les langues autochtones n’ont pas de terme pour désigner la « biodiversité ». Mais nous avons une profonde compréhension de ce concept. Nous savons que tout est lié et que nos actions entraînent des répercussions. Tout est interdépendant : nous dépendons de la terre, et la terre dépend de nous.

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Nous cherchions à présenter ces principes fondamentaux comme étant complémentaires à la science occidentale. Nous avons commencé par un travail de collaboration avec des aînés de trois nations côtières. Alors que nous parlions du déclin des animaux et des plantes, Gloria Cranmer-Webster (Wikalalisame'ga), de la nation des Namgis du peuple des Kwakwaka'wakw, a déclaré : « Nous n'avons pas créé ce désordre, mais nous devons nous concentrer sur ce qui nous a permis de vivre. Nous devons maintenir le cap pour rester en vie et suivre nos enseignements ».

Au cours des nombreuses conversations qui ont suivi – agrémentées de nombreuses tasses de thé – nous avons formulé les enseignements de nos ancêtres de la manière suivante :

Vérité fondamentale no 1 : La Création Nous, les Premiers Peuples de la côte Nord-Ouest, vivons sur nos territoires respectifs (nos territoires d’origine) depuis le début des temps.

Vérité fondamentale no 2 : La relation avec la nature Nous sommes tous unis et nos vies sont liées les unes aux autres.

Vérité fondamentale no 3 : Le respect Toute vie a une valeur égale. Nous reconnaissons et respectons le fait que toutes les plantes et tous les animaux ont une force vitale.

Vérité fondamentale no 4 : La connaissance Notre savoir traditionnel sur l’utilisation et la gestion durables des ressources se reflète dans la relation symbiotique que nous entretenons avec la nature : nous connaissons le cycle des saisons et de la vie et nous avons appris à survivre.

Vérité fondamentale no 5 : L’intendance Nous sommes des intendants de la terre et des mers dont nous dépendons pour vivre. Nous savons que notre santé, comme peuple et société, est intimement liée à la santé de la terre et des eaux.

Vérité fondamentale n o  6 : Le partage Nous avons la responsabilité de partager et de nous entraider pour rendre les autres plus forts et assurer la survie de notre monde.

Vérité fondamentale n o  7 : L’adaptation aux changements Depuis que le créateur nous a placés sur nos territoires, des changements environnementaux, démographiques, sociopolitiques et culturels se sont produits et nous nous y sommes continuellement adaptés. Nous avons survécu à ces changements.

Ces vérités reflètent l’essence même de notre relation avec le territoire.

De plus en plus de nations autochtones créent des aires protégées autochtones et des programmes des gardiens autochtones. En conséquence, nous serons appelés plus fréquemment à transmettre notre savoir au sein de nos communautés et au-delà. Ces vérités nous permettront d’influencer l’élaboration de politiques, de donner une place aux modes de savoir autochtones et d’obtenir un financement à long terme pour la conservation dirigée par les Autochtones.

Nous espérons que l'approche présentée dans Staying the Course, Staying Alive sera un point de départ utile. Il s'agit d'un document vivant, et nous encourageons les nations autochtones à se l'approprier et à y refléter leurs traditions.

Comme peuples autochtones ancrés dans le territoire, nous avons le devoir de transmettre notre savoir qui s’y rapporte. Comme le dit Pauline Waterfall, une aînée Heiltsuk : « Les leçons apprises sont des cadeaux, et nous avons la responsabilité de les transmettre afin d'enseigner comment vivre de façon harmonieuse, équilibrée et respectueuse les uns avec les autres et avec la nature et la biodiversité qu’elle recèle ».

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